Chapitre 3
L'abandon physique

L'abandon physique peut se visualiser comme étant un canal où circulent les émotions reliées à l'échange d'affection. Dans ce chapitre, je vais expliquer ma vision de ce que sont les émotions, leur provenance, ce qui les déclenche, leurs effets sur le corps et les pensées, afin d'atteindre l'objectif de les «maîtriser». Les émotions font partie des fonctions sous le contrôle de notre système nerveux parasympathique comme celles de la digestion, du rythme cardiaque et de la sécrétion d'hormones. L'affection se vit dans l'abandon émotionnel, ce qui signifie que nous nous laissons contrôler par nos émotions. Évidemment, le fait de perdre le contrôle nous rend vulnérables face à l'autre. L'abandon nous plonge dans un vide rationnel, constituant ainsi une perte de contrôle sur nos pensées et nos actions.

L'émotion, qui sous-tend un besoin d'affection, se rattache au sentiment d'être fragile et sans défense. Pour enclencher un échange d'affection, il faut laisser émerger notre sentiment de vulnérabilité originel. Et pendant que dure un échange d'affection, la vulnérabilité n'est plus seulement un sentiment, elle se vit réellement.

Les émotions sont des sensations physiques diffuses à travers tout le corps. Les émotions sont générées par le corps et nous en prenons conscience avec notre intelligence. Elles indiquent le degré d'intensité des efforts fournis par le corps pour rétablir l'équilibre de son métabolisme. Or la vie tient au maintien d'un équilibre qu'on appelle l'homéostasie. À chaque instant de notre vie, plusieurs choses déstabilisent le fonctionnement de notre corps, et nos organes des sens détectent tout changement dans notre environnement. Pour maintenir une température constante de 37,5 degrés Celsius, notre corps doit produire de la chaleur en brûlant nos graisses si la température est froide et libérer de la sueur pour faire diminuer sa chaleur si la température est chaude. Dans cet exemple, l'émotion survient au moment précis où le corps fait des efforts pour maintenir sa température constante. Plus la température sera chaude ou froide, plus l'émotion sera intense. L'émotion associée au froid peut se décrire comme une sensation de panique et d'excitation tandis que celle associée au chaud se décrit comme une lourdeur et un état apathique.

Notre psychologie est en rapport direct avec la manière dont on interagit socialement. Il existe aussi un niveau d'équilibre psychologique qui doit être maintenu sans quoi cela peut causer une maladie mentale. Ce niveau d'équilibre est caractérisé par un état et un sentiment de sécurité. Notre équilibre physiologique n'est pas menacé seulement par l'environnement physique comme la température, mais aussi par l'environnement social. Nous naissons sauvages comme les animaux de la forêt et nous sommes bien seulement en compagnie de nos parents avant l'âge de 2 ans. Les bébés ont une réaction de frayeur en présence d'une personne étrangère. Je conçois la socialisation comme la capacité d'apprivoiser et d'être apprivoisé par l'entourage. Apprivoiser signifie de rassurer l'autre en lui démontrant que nous ne constituons pas un danger pour lui ou elle. Cette crainte instinctuelle envers toutes les personnes est nécessaire à notre survie.

La présence d'une personne modifie dès les premiers instants notre niveau d'équilibre psychologique. Plus nous vivons des émotions intenses avec elle, plus ce niveau d'équilibre est modifié par le fait que le corps doit fournir plus d'énergie pour rétablir son équilibre. Le déséquilibre sera aussi grand avec une personne que nous haïssons qu'avec une personne que nous aimons beaucoup. Celui-ci sera rétabli par un comportement de fuite ou de désintéressement face aux personnes qui nous sont désagréables, et par un comportement affectueux envers la personne avec qui on se sent le mieux. L'affection rétablit le niveau d'équilibre psychologique par le sentiment de sécurité que cela procure. Avec les personnes qui sont nos amis(es) par exemple, le fait de leur parler nous redonne notre sentiment de sécurité.

L'émotion de base dans les relations humaines est la peur. Toutes les personnes de notre entourage représentent potentiellement un danger pour notre intégrité physique (être battu) et psychologique. L'intégrité psychologique se rapporte à l'estime de soi et à la peur qu'on se moque de nous. Rire et ridiculiser une personne fait partie de la violence psychologique. Nous protégeons notre estime avec des façades. Or une façade correspond à un comportement destiné à camoufler nos vraies émotions afin d'empêcher une personne malvenue de jouer avec pour nous démolir. Nous sommes à l'image de ce que sont nos émotions; notre personnalité se définit par la manière dont notre corps réagit à tous les stress de la vie. Finalement, toutes nos émotions ont leur raison d'être et c'est à partir d'elles que nous nous accrochons à la réalité. La dévalorisation intervient par la négation de l'existence de certaines émotions chez soi ou chez l'autre. Elle est un non respect du vécu et de la personnalité de l'autre pour la contrôler et la forcer à faire certaines choses.

Lorsque nous étions enfant, nos parents nous ont appris à reconnaître les personnes dangereuses, tout en étant présents pour nous protéger. En grandissant, nous avons appris à nous protéger nous-mêmes. Quand nos relations amicales vont bien, la peur sommeille en nous, prête à refaire surface au besoin si l'une de celles-ci devient conflictuelle. Notre équilibre psychologique se situe entre deux pôles émotionnels. Le premier serait une situation où l'on pourrait se révéler complètement à l'autre, chose pratiquement possible à l'intérieur d'un couple: c'est le pôle de la parfaite sécurité. L'autre serait la fermeture émotionnelle complète et le comportement de fuite. En réalité, nous ne pouvons avoir une confiance absolue envers la personne que nous aimons le plus et cette limite constitue notre soupape de sécurité en cas de complications. Une partie de soi n'est jamais révélée à personne afin de préserver son identité: l'amour n'est pas une fusion mais un échange d'émotions entre deux êtres différents.

Notre niveau de sécurité ou d'équilibre diffère pour chaque personne que nous connaissons. Plus on se sent en sécurité avec une personne, plus on se révèle tel que nous sommes. Avec les personnes qui nous rendent mal à l'aise, nous utilisons beaucoup de façades pour s'en protéger. On se rapproche de celles avec qui on se sent bien et on s'éloigne des indésirables. Cette distance émotionnelle constitue le point d'équilibre qui se déplace pour nous maintenir en sécurité.

L'estime de soi n'est pas une chose absolue: personne n'en possède une parfaite. D'ailleurs, le niveau d'estime varie d'une personne à l'autre en fonction de l'éducation reçue et du cheminement personnel. Moins on s'estime, plus il est difficile d'identifier avec précision son point d'équilibre. Inversement, plus on s'estime, plus on est en mesure d'évaluer avec précision le niveau de confiance que nous pouvons accorder aux autres. Ainsi, une personne qui s'estime peu a plus de chance de se tromper: elle pourrait se révéler à quelqu'un qui lui veut du mal et se fermer à celui qui sait l'apprécier. Plus celle-ci se trompe, plus elle devient craintive et plus elle s'isole des autres. En visualisant bien son point d'équilibre, on peut aller de l'avant pour apprivoiser et se laisser apprivoiser par les êtres humains sans malice. Avec une bonne estime de soi, on connaît ses limites, on sait quoi dire et ne pas dire en fonction du niveau de confiance qu'on accorde à une personne.

Nous vivons tous une certaine fragilité par le fait que nous ne pouvons posséder une parfaite estime de soi. Cette fragilité produit des fissures dans nos façades qui laissent passer des émotions sans qu'on s'en rende compte, à travers nos paroles et nos gestes. Cette fuite d'émotions peut avoir deux conséquences: faire vivre des choses désagréables aux autres ou bien risquer que d'autres utilisent nos émotions pour nous manipuler ou nous abuser, en nous insultant par exemple.

Il nous arrive souvent de s'échapper en laissant transparaître des émotions qu'on désire cacher consciemment. Cette situation nous fait vivre des expériences bonnes ou mauvaises, tout dépendant si les personnes rencontrées ont tendance à abuser des autres ou pas. Toute expérience, qu'elle soit valorisante ou décevante, nous permet de progresser dans notre connaissance de soi dans le but de mieux contrôler nos émotions. Ce contrôle émotionnel consiste à colmater les fissures de nos façades et à reconnaître les situations qui nous permettent de les retirer, en fonction du niveau de confiance qu'on accorde aux personnes de notre entourage.

Pour former un couple, le développement d'une relation de confiance est essentiel. La rencontre de l'âme soeur se fait en deux étapes. Dans un premier temps, il se passe un déclic: nous tombons amoureux l'un de l'autre parce que nous partageons le même besoin d'affection. Tomber en amour constitue un coup de dés car c'est par hasard qu'on rencontre une étrangère avec qui on se sent naturellement bien pour oser manifester notre besoin d'affection et d'attention, car faire une rencontre amoureuse constitue un risque. Dans un deuxième temps, on tente de l'apprivoiser: nous faisons tout pour que cette femme ait confiance en nous. Il est impossible d'être totalement bien et en amour dans les premiers jours d'une rencontre. Le fait d'aimer, soit d'être bien avec sa nouvelle amie de coeur, grandit avec le temps, l'intérêt et l'amour qu'on décide de lui accorder. Aimer sa partenaire signifie que nous nous sentons en sécurité physique et psychologique avec elle.

Un échange d'affection constitue un abandon physique ou émotionnel. Pour s'abandonner, les deux partenaires doivent être en parfaite sécurité psychologique l'un face à l'autre. S'abandonner, c'est retirer nos façades pour afficher sa vulnérabilité. Dans cette situation, nous devenons fragiles: l'autre peut facilement abuser et nous manquer de respect. Une personne qui connaît toutes nos émotions et nos faiblesses possède toutes les armes pour nous démolir. Faire partager sa vulnérabilité, c'est être authentique et se dévoiler tel que nous sommes. L'abandon physique exige une très bonne estime de soi: elle nous donne la capacité de vivre avec les émotions reliées à notre vulnérabilité. Quand on se sent comme la plus mauvaise des personnes, on refuse de se percevoir comme vulnérable. Lorsque nous avons une faible estime de soi, nous entretenons des façades face aux autres mais aussi face à soi-même pour ne pas ressentir sa vulnérabilité. Ainsi, cela nous empêche d'être en contact avec notre besoin d'affection, en raison d'une incapacité à vivre avec le sentiment d'être fragile et sans défense. Ce sentiment constitue le déclencheur dans un comportement d'affection.

L'abandon physique permet un échange: on dévoile les émotions qui nous habitent. Les deux principaux sens sollicités dans l'affection sont le toucher et l'odorat. C'est à travers eux qu'on capte les émotions se dégageant du corps de l'autre. L'affection constitue le seul moment où il y a échange émotionnel en temps réel, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de délai entre le moment où je reçois une émotion et celui où j'y réagis. Quand nous ne sommes pas en contact physique avec notre partenaire, on demeure un peu sur la défensive. On ne réagit pas immédiatement aux émotions qu'elle nous fait vivre; on va prendre le temps d'analyser la situation et, dans bien des cas, on ne réagit pas. Dans une vie de couple, on doit maintenir certaines de nos façades pour préserver notre indépendance et notre identité, et se prémunir d'un éventuel changement de comportement de notre partenaire envers nous.

Les façades nous servent aussi à être à l'écoute et à aider sa partenaire. Par exemple, lorsque notre partenaire vit une mauvaise expérience dans ses relations de travail ou avec ses parents, on peut l'écouter nous en parler sans s'emporter émotionnellement comme elle peut le faire. Quand on enlève ses façades, on devient perméable aux émotions de l'autre; ainsi, si ses émotions sont troublées, les nôtres le deviendront également. Avec l'aide de nos façades, on peut analyser les évènements vécus par notre partenaire tout en étant détaché de son contenu émotionnel. Ce qui nous permet d'intervenir pour lui dire des choses qui la calmeront, qui dédramatiseront sa situation et l'encourageront, enfin de lui dire qu'elle demeure toujours une bonne personne à nos yeux.

Pour entretenir un lien d'affection, un couple doit continuellement s'apprivoiser mutuellement. Le dialogue aide à développer une relation de confiance. Dans la communication, l'amour entre en ligne de compte par les efforts que cela demande de faire. Communiquer, c'est savoir écouter sa partenaire et poser des questions pour mieux la comprendre; c'est lui accorder toute notre attention et lui faire sentir qu'elle est importante pour nous. Cette attitude lui prouve que nous sommes engagés émotivement envers elle. C'est à partir de cet engagement qu'elle se sentira en sécurité avec nous, présents et disponibles pour elle. Avec l'amour, on crée une atmosphère où notre partenaire se sent bien en notre présence et on fait tout pour qu'elle nous aime. Aimer, c'est se sentir en sécurité avec sa partenaire. L'affection se vit dans un sentiment de sécurité mutuelle.

Pour aider à maintenir un climat sécurisant dans le couple, nous devons être attentifs à notre partenaire. Ce comportement nous permet d'identifier de jour en jour les facteurs responsables de ses états émotionnels afin de la comprendre et d'intervenir de façon appropriée aux situations. L'amour, ça se construit comme une maison: quand on n'est pas en présence de sa partenaire, on pense à elle pour prévoir son état émotionnel lorsqu'on sera à nouveau ensemble, et prévoir ainsi certaines activités et discussions pour faire évoluer la relation. L'amour de sa partenaire constitue la principale préoccupation de sa vie. Rappelez-vous que l'amour est motivé par le bien-être que procure l'échange d'affection.

Dans l'abandon physique, on ne révèle pas tout ce que l'on est comme personne. Notre partenaire n'a pas besoin de connaître tous les détails concernant notre enfance et nos expériences antérieures. Durant un échange d'affection, on ne fait que révéler à l'autre notre sentiment de vulnérabilité, soit que l'on se sente petit et fragile face à notre vie. Et les émotions qui y circulent concerne uniquement la relation affectueuse. Par exemple, dans les premiers temps d'une perte d'emploi, toutes les émotions reliées à cet évènement ne doivent pas surgir durant un échange d'affection car cela empêcherait que l'on s'abandonne physiquement. Notre esprit doit être entièrement présent à cette activité et au bien-être de notre partenaire. Si on arrête de penser à notre partenaire, on se coupe de la relation parce que nos façades refont automatiquement surface. Les émotions que l'on vit lors d'un contact physique se limitent à celles reliées au besoin de sécurité. Donc un échange d'affection ne menace pas notre intégrité psychologique: certains aspects de notre vie demeureront toujours secrets.

Lorsque deux corps humains se touchent affectueusement, il se crée un conduit virtuel d'énergie où les émotions circulent librement. L'abandon physique fait surgir des émotions qui nous maintiennent éveillés malgré l'absence de stress associé à la peur. Dans la vie de tous les jours, nous sommes continuellement sur nos gardes face à une situation qui menacerait notre intégrité physique et psychologique. Nous sommes habités par une émotion de peur nécessaire à notre survie et qui est responsable de notre état d'éveil. Celle-ci nous quitte seulement durant un échange d'affection parce que nous sommes en parfaite sécurité à ce moment-là. Certaines émotions associées à l'affection servent à maintenir un certain niveau de stress pour éviter que l'on s'endorme. Cet état d'éveil provient de la sécrétion de l'hormone qui nous rend euphorique, qui est une drogue naturelle modifiant notre état de conscience. L'affection se vit dans un rêve éveillé: nous planons dans les nuages, on ne s'appartient plus, on se laisse porter par les émotions, on ne contrôle plus rien et on est comme une feuille au vent. Un accouplement se fait dans un élan d'affection et sans préméditation. Le fait de pénétrer sa partenaire ne signifie pas qu'on lui fait l'amour. Faire l'amour, ça se fait avec de la tendresse et de l'affection.

L'amour est une étape précédant un échange d'affection qui se concrétise à travers les efforts qu'on fait pour sa partenaire. Or pendant un contact physique, on n'a plus à faire d'efforts: on s'abandonne à l'autre pour se laisser porter au gré des émotions qui vont et viennent. L'échange d'affection est l'activité de relaxation la plus efficace qui soit. Nos préoccupations disparaissent, il n'y a plus de passé ni de futur, seul l'instant présent compte. L'abandon physique nous repose physiquement et mentalement.

L'affection est la seule activité qui soit spontanée et relationnelle en même temps. Avec notre entourage, on peut avoir des comportements spontanés reflétant les émotions qui nous habitent à ces moments-là. En étant spontané, nous nous révélons un peu aux autres au plan émotionnel, mais cela reste à sens unique. Ce n'est pas parce nous manifestons de l'ouverture que les autres le feront à leur tour. Tandis que dans l'affection, les deux partenaires s'ouvrent émotionnellement en même temps: c'est ce que j'appelle de la spontanéité relationnelle.

Pour résumer, l'abandon physique permet d'être transparent face à ses émotions et perméable face à celles de notre partenaire. Il faut être authentique et avoir une bonne estime de soi et de sa partenaire afin de retirer ses façades. L'échange d'affection comble un besoin de sécurité, procure du bien-être et réénergise le corps. Le besoin d'affection nous pousse à désirer une relation amoureuse afin d'être en santé physique et psychologique.

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