Chapitre 4
L'estime de soi

L'amour de soi constitue un élément essentiel nous permettant d'être affectueux. Rappelez-vous que l'affection est un moment où l'on se permet d'afficher sa vulnérabilité: il faut alors nécessairement posséder une bonne estime de soi pour vivre le sentiment de fragilité qui en découle.

L'émotion diffère du sentiment; la première constitue une réaction spontanée du corps tandis que le second concerne le lien que nous faisons entre une émotion et ce qui la produit, soit un fait ou une personne. Les sentiments font partie de la prise de conscience de nos émotions: ainsi, si je me sens bien avec ma partenaire, cela relève d'une émotion de bien-être alors que le fait de réaliser que c'est elle qui nous procure cela correspond au sentiment.

L'estime de soi, c'est de pouvoir créer un état de bien-être avec soi-même; elle ne constitue pas une chose spontanée, elle se bâtit. Et s'estimer, c'est se valoriser pour ce que l'on est comme personne en réalisant toute l'importance que représente notre vie. En effet, rien au monde n'a plus d'importance que notre corps: c'est grâce à celui-ci que l'on prend conscience des choses. Car être important pour soi, c'est réaliser que nous avons le pouvoir de se faire du bien, de se récompenser, d'évoluer et de rendre sa vie passionnante.

La valorisation de soi passe par les qualités que l'on s'accorde. Se valoriser, c'est se sentir comme la personne la plus belle, la plus intelligente, la plus fine, etc. Ici, le mot "plus" ne signifie pas qu'on se sente supérieur aux autres, mais qu'on s'accorde de l'importance. Le fait de vivre avec un sentiment de supériorité constitue un comportement de compensation. Cela démontre notre difficulté à vivre avec notre fragilité; on utilise un sentiment de supériorité comme façade contre soi-même pour ne pas voir ou sentir notre vulnérabilité. L'estime de soi fonctionne donc comme une balance: lorsqu'on se donne des qualités, on peut également le faire pour les autres personnes; en d'autres mots, plus on s'estime et plus on peut estimer autrui. Une personne qui se sent supérieure prouve qu'elle se sous-estime. De plus, elle a tendance à vouloir dominer les autres.

L'échange d'affection se fait dans une relation égalitaire. Car le sentiment d'égalité crée une atmosphère sécurisante favorable à l'abandon émotionnel. Celui-ci découle d'une prise de conscience à l'effet que nous sommes aussi fragiles et sans défense face à la vie que notre partenaire. Ce sentiment se rattache donc au concept de complicité dans le couple.

L'estime de soi, en plus d'être essentielle dans l'échange d'affection, nous sert de protection contre les commentaires désobligeants de certaines personnes. Lorsqu'on se fait dire que l'on est un imbécile parce que nous faisons ou pensons telle ou telle chose, on se sent naturellement mal. L'estime de soi peut alors se visualiser comme un point d'équilibre; ce genre de commentaire nous déstabilise physiologiquement, d'où la sensation d'un malaise lorsque notre image est attaquée. Le fait qu'on soit beaucoup affecté par les commentaires négatifs des autres signifie qu'on possède une faible estime de soi. Or l'estime de soi est un mur de protection: moins on s'estime, plus celui-ci est fragile. Ainsi, quand on se laisse atteindre par les comportements et les paroles qui nous dénigrent, le rétablissement de notre équilibre prend du temps à se faire. Puis on commence par douter de soi: "suis-je vraiment comme cela?"; si ce doute persiste, l'anxiété se manifeste, ce qui nous amène à nous culpabiliser. Cette culpabilité peut nous faire dire des choses du genre: "pourquoi suis-je venu au monde, sinon pour ne faire que des erreurs". Se culpabiliser, c'est se faire violence et culpabiliser les autres, c'est les violenter. D'ailleurs, se culpabiliser constitue un comportement d'auto-destruction. Même si on a une très faible estime de soi, le corps a des ressources infinies: une voix intérieure nous dit que l'on est pas une si mauvaise personne que ça et que l'on est correct dans le fond. Cette énergie nous permet de rétablir l'équilibre et de survivre en surmontant cette dévalorisation.

En possédant une bonne estime de soi, on développe de bons rapports sociaux. On acquiert la confiance des autres lorsqu'on ne les juge pas et qu'on les valorise pour ce qu'ils sont: on devient alors conscient des comportements et des paroles qui peuvent les blesser. Ainsi, lorsqu'on ne déstabilise pas les autres, ils se sentent émotivement bien avec nous. Mais il est encore plus important d'avoir cette attitude envers la personne avec qui on échange de l'affection. On lui porte la plus grande des attentions de sorte qu'elle soit bien en notre présence.

L'estime de soi commence avec l'image qu'on a de notre corps. C'est avec lui que nous ressentons les émotions. Si on n'aime pas son corps, on ne peut donc vivre en harmonie avec ses émotions et cela peut nous faire souffrir. Notre corps produit des émotions en relation avec les formes qu'il prend. En n'appréciant pas son corps, on refuse les émotions qu'il nous fait vivre et on désire changer l'image qu'il nous projette. Mais cela est virtuellement impossible: on a le corps que l'on a, point final; on ne peut changer de corps comme on change de chemise. Et notre impuissance devant cette réalité nous fait souffrir.

Le corps possède une conscience intrinsèque qui le fait réagir indépendamment de notre conscience consciente (intellectuelle). La respiration provoque des émotions reliées à notre survie: au moindre manque d'air, le corps panique; il sécrète de l'adrénaline et le rythme cardiaque augmente en flèche. La panique, une émotion plus forte que la peur, provient toujours d'un évènement extérieur mettant directement notre vie en danger, alors que la peur peut être provoquée par nos pensées suite à une fausse interprétation d'une situation. Les émotions associées à la panique sont le froid, la chaleur intense, le vertige et les accidents. Notre corps tient à la vie: mais on n'y pense pas car la survie est une chose spontanée.

La sensation de notre poids nous fait vivre des émotions: lorsqu'on se sent très fatigué, on se sent lourd (on a de la misère à supporter son poids). La fatigue est une émotion en relation directe avec les efforts déployés lorsqu'on bouge et marche pour supporter notre masse corporelle. Notre poids est à la source des émotions relatives à nos humeurs; si on se sent bien, enjoué et plein d'énergie, on supporte mieux son poids, on se sent léger.

La grosseur et la longueur de nos os, la largeur de nos épaules, la distribution de notre masse musculaire et adipeuse, sont responsables des formes que prend notre corps. Notre morphologie détermine notre souplesse de mouvement, notre force et l'espace qu'on prend assis ou couché en fonction des autres. Si on sait comment en prendre conscience, les formes et le fonctionnement de notre corps sont sources d'émotions de bien-être et c'est ce qui concrétise la sensation que nous nous aimons. Pour bâtir une estime de soi, il faut faire des efforts pour apprécier son corps; or cette appréciation s'effectue en se laissant porter par les émotions bienfaisantes qu'il génère.

L'estime de soi implique une confiance en soi et en ses possibilités. Le fait de se considérer comme une personne intelligente, habile et créative permet d'acquérir une confiance en soi. Celle-ci nous permet d'avancer plus rapidement dans la vie parce que, ne craignant pas l'échec, nous poussons à terme tout ce que nous entreprenons. La confiance en soi nous entraîne dans une multitude d'expériences, ce qui augmente notre niveau de connaissance et d'ouverture sur la vie en général.

Lorsqu'on s'estime, il est facile de se dire que nous sommes "capables de...". Le mot capable se réfère au concept de pouvoir et s'estimer signifie "avoir du pouvoir sur soi". Le pouvoir peut être perçu comme péjoratif parce que l'une de ses définitions concerne le contrôle que nous pouvons exercer sur les autres. Or il existe deux moyens pour que l'autre fasse ce que l'on attend de lui. Il y a la manipulation où l'on s'arrange pour qu'il ne voit pas notre jeu. Elle constitue alors une mystification: on fait tomber l'autre dans le panneau et on le déjoue afin de le pousser à faire des choses qu'il n'a pas décidé de faire. L'autre moyen est le chantage: on dit clairement ce que l'on veut de lui en le menaçant s'il ne le fait pas. Ces deux comportements sont violents et ils briment la liberté de l'autre. Comme on n'est pas en droit de décider pour les autres, le seul pouvoir réel que l'on puisse exercer est sur soi-même.

Avoir du pouvoir sur soi donne la volonté d'entreprendre des choses et de s'engager dans une relation amoureuse. L'affection existe dans un couple quand les deux personnes s'engagent émotionnellement l'une envers l'autre. Par contre, s'engager exige une bonne confiance en soi car cela a quelque chose d'insécurisant puisque l'on perd en quelque sorte une partie de soi. L'engagement émotionnel implique de révéler sa vraie personnalité (sans masque) et de se donner à l'autre sans compter. Nous devons faire pleinement confiance à notre partenaire parce qu'en connaissant nos émotions, elle pourrait facilement nous manipuler. L'engagement constitue donc un risque que l'on prend en se laissant influencer et diriger par l'autre; sans se poser de questions, on s'attend à recevoir de l'amour. L'estime de soi est une emprise sur son être: c'est nous qui conduisons notre vie et pas les autres, on a le choix d'embarquer ou de ne pas embarquer. L'engagement, c'est donc d'embarquer dans le jeu de l'autre sans avoir l'impression de perdre sa personnalité. Cette capacité de se laisser influencer prouve hors de tout doute que nous nous estimons. Nous vivons tous dans notre propre univers constitué par notre caractère, nos intérêts, nos goûts, notre vécu et nos connaissances. Se laisser influencer, c'est entrer dans l'univers de l'autre pour en faire partie.

La vie est possible grâce à l'énergie qui nous pousse à s'intéresser aux sujets et aux évènements du quotidien. Elle nous motive à faire des expériences pour nourrir nos pensées. Ainsi, nous passons d'une passion à une autre tout au long de notre vie, mais certaines passions durent plus longtemps que d'autres. La passion correspond à l'intensité des émotions vécues en relation avec nos points d'intérêts et à la quantité d'énergie déployée dans nos activités quotidiennes. Être passionné signifie d'accepter de souffrir pour atteindre un objectif parce qu'une fois atteint, il nous procure un moment d'euphorie.

Toute personne vit plusieurs passions à la fois, pour son travail, pour ses loisirs, pour ses relations sociales, pour sa relation amoureuse et pour ses enfants. Pour se laisser influencer par l'autre, il s'agit pour un moment de faire abstraction de ses propres passions pour intégrer celles de sa partenaire. Si elle se passionne pour la musique classique, on fait un effort pour apprécier et partager le plaisir qu'elle a d'écouter ce type de musique. Cette abstraction est possible grâce à l'estime que l'on acquiert de soi. En possédant une faible estime de soi, on est très insécure et on a tendance à s'accrocher à nos passions pour se protéger des autres. Celles-ci sont habituellement démesurément grandes, ce qui a pour conséquence de nous rendre insensibles à ce que nous sommes, à nos besoins et à nos émotions. En étant ainsi gelés émotivement, on se préoccupe moins de sa partenaire, on n'est pas à l'écoute de ses émotions et on ne peut donc lui apporter du réconfort. Le manque d'estime se caractérise par le sentiment d'être perdu et de souffrir et une passion démesurée nous rend insensible à notre souffrance.

L'estime de soi nous donne la capacité d'aimer une personne. Or il est très valorisant de vivre avec ce sentiment qui provient d'une prise de conscience que notre partenaire se sent bien en notre présence. Réaliser que notre présence la rend euphorique renforce positivement notre image. Plus on apporte du bien-être à sa partenaire, plus notre estime augmente et plus on peut provoquer des moments intenses de bonheur chez sa partenaire.

Plus on apprend à connaître sa partenaire, plus on retire du bien-être d'un échange d'affection. Plus le bien-être est grand, plus je suis encouragé à faire des efforts pour découvrir et apprécier ma partenaire. Enfin, tout échange d'affection contribue à faire grandir notre estime de soi.

L'estime de soi est un processus sans fin: il augmente et fluctue en fonction des expériences heureuses ou malheureuses. Nous avons tous en nous une force ou une pulsion qui nous pousse à améliorer notre image de soi. En effet, l'estime de soi est une question de survie. Une personne qui souffre beaucoup psychiquement possède une image très négative d'elle-même. Lorsqu'on ne trouve plus rien de bien et de beau chez soi, on perd les outils qui nous servent à se défendre contre la dévalorisation. Or sans moyens de défense, on devient une personne défaitiste, ce qui nous mène à la dépression. En se sous-estimant, on a de la difficulté à surmonter les épreuves et on accumule les échecs. Ce sont en effet les choses positives qui nous aident à se renforcer psychologiquement.

À partir de nos expériences passées, nous pouvons choisir les comportements à adopter et les situations qui nous aideront à s'estimer. Ainsi, en étant attentif, tendre et affectueux dans une relation amoureuse, on renforce notre estime. L'estime de soi prend ainsi forme grâce aux relations avec ses proches et aux interactions avec son entourage. Si on était seul au monde, on n'aurait nul besoin de se préoccuper de son estime car elle est toujours une évaluation que l'on fait de soi en rapport avec les autres. Lorsque nous étions bébé, nous n'avions pas la capacité de s'évaluer: nos parents bâtissaient notre estime à partir de leur amour envers nous. Cet amour passait alors par les soins, l'affection, la tendresse et l'attention qu'ils nous donnaient. Recevoir de l'amour nous procurait le sentiment d'être important pour eux. C'est à partir de ce sentiment que l'enfant s'évalue positivement. L'estime de soi se rattache donc au sentiment que nous pouvons être aimé et avoir de l'importance pour les autres.

En ayant manqué d'amour durant notre enfance, on souffre nécessairement d'une faible emprise sur sa personne à l'âge adulte. On est alors plus vulnérable aux commentaires et aux comportements dévalorisants des autres. Le fait d'accumuler des mauvaises expériences nous empêche de faire croître notre estime, mais l'amour de soi permet de surmonter cette difficulté. Elle se construit avec l'aide du rationnel, soit en utilisant sa capacité de raisonnement pour échapper aux émotions négatives qui nous amènent à penser que l'on est un "pas bon". Avec le rationnel, on peut créer des situations avec nos proches pour vivre des expériences émotives valorisantes. En accumulant des expériences positives, on acquiert de l'emprise sur soi et une estime que nos parents n'ont pu nous donner dans notre enfance. Être un adulte se caractérise par une autonomie émotive, ce qui signifie que nous devenons notre propre parent pour s'auto-encourager, s'auto-rassurer, s'auto-aimer et s'auto-consoler.

La vie est une lutte sans merci contre la dévalorisation provenant de personnes qui nous entourent. En effet, peu de gens ont reçu tout l'amour nécessaire de leurs parents pour avoir une image valorisante d'eux-mêmes. Moins on a vécu dans un climat d'amour durant notre enfance, moins on est capable d'avoir des relations sociales saines à l'âge adulte; et si nos parents nous critiquaient continuellement, on reproduit cette tendance avec nos pairs. Nous rencontrons inévitablement des personnes qui attaquent notre estime au travail, dans nos loisirs, etc. Tous ont donc fait l'expérience d'être rejetés et jugés plusieurs fois dans leur vie. À partir d'une faible estime de soi, la dévalorisation nous épuise, provoquant ainsi des moments dépressifs. Pour lutter contre elle, il faut travailler l'estime de soi: plus on aura une image de soi forte et positive, moins on sera affecté par les autres.

Dans notre vie de couple, l'estime de soi permet de se protéger des commentaires négatifs et des sautes d'humeur de sa partenaire. Personne ne possède une estime de soi parfaite; aussi nous arrive-t-il parfois d'avoir des comportements dévalorisants pour l'autre. Mais avec nos erreurs, on apprend à éviter ce type de comportements. La vie de couple nous permet de faire grandir notre estime; elle nous confronte face à ce que nous sommes et nous montre où se situent nos fragilités dans notre estime. Vivre une relation de couple nous pousse donc à nous dépasser pour développer une image plus positive de soi. Avec une bonne estime de soi, on entretient de meilleures relations avec son entourage et ses amis(es), tout en étant plus armé pour se défendre contre les comportements dévalorisants. C'est dans une vie de couple qu'on apprend le respect. Comme l'estime de soi sert principalement à se protéger des comportements dévalorisants, en ayant moins peur de ce que les autres peuvent nous dire, on développe une confiance en soi. À partir de celle-ci, on peut s'abandonner à l'affection avec sa partenaire parce qu'on ne craint pas qu'elle nous ridiculise.

La relation amoureuse est la plus significative pour l'estime de soi, après celle avec nos parents. Un échange d'affection contribue à l'obtention d'une image positive de soi. Plus on s'estime, plus on est capable de voir sa partenaire positivement et de lui dire qu'on l'aime, qu'elle est belle et fine. Parler rassure: une personne qui ne parle pas à sa partenaire a peur de se compromettre. Alors qu'en parlant, on prouve que nous sommes engagés envers elle.

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