LA RÉVISION1
L'émission Découverte du 4 octobre peut être visionnée à l'adresse suivante :
http://www.radio-canada.ca/emissions/decouverte/2009-2010/Reportage.asp?idDoc=92340
Afin de pouvoir répondre à cette plainte, j'ai lu quatre chapitres du rapport de 2007 du Fonds mondial de recherche contre le cancer (FMRC), les articles cités par le plaignant et d'autres résumés d'études sur le sujet.
Épidémie d'obésité
Le plaignant reproche à l'émission Découverte d'utiliser le terme « épidémie d'obésité ».
Cette expression est largement répandue depuis que l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a décrété en 1997 que la hausse importante des taux d'obésité constituait une « épidémie ». À cette époque, c'était la première fois qu'un organisme aussi connu utilisait cette expression pour décrire un mode de vie, alors que jusque-là il fallait la présence d'un agent infectieux pour parler d'épidémie :
1 Le mandat de l'ombudsman : http://www.radio-canada.ca/apropos/ombudsman/
Révision de l'émission Découverte sur les liens entre le cancer et l'obésité 6
« (...) les causes fondamentales de l'épidémie d'obésité sont d'ordre sociétal, et résultent d'un environnement qui met en avant des modes de vie sédentaires et la consommation d'aliments riches en matières grasses et énergétiques. (...) 2 »
L'OMS estimait en 2005 que 400 millions d'adultes étaient obèses. Elle projette que ce nombre passera à 700 millions en 2015. L'OMS considère que cette épidémie, au même titre que les autres, est un problème de santé publique auquel il faut s'attaquer.
500 000 études
Le chercheur réputé Richard Béliveau fait référence au rapport de 2007 du FMRC intitulé : « Alimentation, nutrition, activité physique et prévention du cancer : une perspective mondiale », et dit : « C'est une compilation de 500 000 études, faites à l'échelle mondiale par
230 oncologues, les meilleurs de la planète, des chercheurs et des cliniciens, dix recommandations (...). »
M. Breton a l'impression qu'en utilisant ce très gros chiffre, sans en préciser la source, Découverte a laissé entendre que ces études portent toutes sur l'obésité. Dans un résumé écrit par le FMRC lors du lancement du rapport, on précise la méthodologie utilisée :
« Dans un premier temps, un groupe d'experts a conçu une méthode de revue systématique des nombreuses études scientifiques existantes. Dans un deuxième temps, neuf équipes de chercheurs ont recueilli et analysé les études selon cette méthode (parmi les 500 000 études identifiées, 22 000 ont été retenues, 7 000 ont été jugées pertinentes à la réalisation du rapport) 3 . »
Il aurait été plus juste de dire que les chercheurs ont identifié 500 000 études, mais n'en ont utilisé que 7 000 – les plus pertinentes –, dans leur rapport. Rien toutefois dans le texte ne laisse croire que l'ensemble de ces études porte sur l'obésité. Je rappelle aussi que l'auteur de ces propos est le Dr Béliveau, et non le journaliste.
« (...) À titre d'entreprise publique, la Société [Radio-Canada] ne fait pas siennes les opinions des commentateurs et commentatrices qu'elle invite pour exprimer divers aspects de l'opinion sur un sujet donné. (...) » (NPJ, IV. Normes de production B, 1.3) 4
2 OMS, « Obésité : prévention et prise en charge de l'épidémie mondiale », 1997 http://whqlibdoc.who.int/trs/who_trs_894_fre.pdf (page 283)
3 Référence : http://www.fmrc.fr/la_recherche/le_2_rapport.php
4 Normes et pratiques journalistiques de CBC/Radio-Canada : http://cbc.radio-canada.ca/responsabilite/journalistique/index.shtml
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Les journalistes de Radio-Canada, eux, sont soumis à la norme d'exactitude :
« L'information est fidèle à la réalité, en aucune façon fausse ou trompeuse. (...) » (NPJ, III. Principes)
Dans l'émission, ce que le journaliste Claude D'Astous écrit sur le rapport est tout à fait exact : « En automne 2007, un rapport du Fonds mondial de la recherche contre le cancer résumait la somme des connaissances sur la prévention et le cancer. »
Il y a donc une imprécision dans la formulation de Richard Béliveau, sans plus. Quant à l'absence de sources, un reportage de télévision ne peut pas, étant donné le besoin de concision, nommer toutes ses sources. Ce qui compte, c'est que ces sources existent et que leur crédibilité soit évaluée par les journalistes.
L'obésité et le cancer
Le plaignant juge exagérés les propos du biochimiste Richard Béliveau :
« On fume : 30 pour cent des cancers; on mange mal pis on est obèse : 35 pour cent des cancers (...). »
Dans cette courte intervention en tout début de reportage, le Dr Béliveau indique, de façon succincte et propre à frapper l'imagination, que les mauvaises habitudes alimentaires et l'obésité sont responsables de 35 pour cent des cancers. Or, il oublie de mentionner un facteur dans cette équation : selon le rapport du FMRC, les mauvaises habitudes alimentaires, le surpoids, l'obésité et le manque d'exercice seraient à l'origine
de 35 pour cent des cancers. Cette question est éclaircie plus tard dans le reportage quand l'épidémiologiste de l'Université Harvard, Walter Willett, dit que le surpoids et l'obésité seraient responsables de 15 à 20 pour cent des cancers en Amérique du Nord.
Il n'y a pas de contradiction entre les deux scientifiques, car dans un autre segment de l'entrevue de Walter Willett, qui n'a pas été diffusé par Découverte, voici ce que le chercheur dit :
« This huge body of evidence does tell us that about a third of cancers can be eliminated, avoided, prevented by healthy diet and lifestyle changes. Particularly avoiding overweighs and obesity and otherwise eating a good quality diet. »
Cette même idée est reprise un peu plus loin dans le reportage quand Claude d'Astous écrit :
« Donc : rester mince toute sa vie, faire de l'exercice tous les jours, manger santé. Le rapport calcule qu'on pourrait réduire la mortalité par le cancer de 35 pour cent. »
J'estime donc que le message est clair pour les téléspectateurs. Claude D'Astous a respecté les règles journalistiques en faisant part de ces estimations.
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Il n'a pas pris le chiffre de 35 pour cent à son compte. Il a laissé des experts l'avancer. Et il ne s'agit pas de n'importe quels scientifiques, puisque le Dr Willett est considéré comme une sommité en prévention du cancer et le Dr Béliveau est également un chercheur crédible et un bon vulgarisateur.
Certitude ou théorie contestable?
Le plaignant me réfère à quelques textes qui, à son avis, remettent en cause la crédibilité du rapport sur lequel une partie du reportage est basée.
• Une étude australienne révèle que le taux d'enfants obèses stagne depuis une décennie, mais que l'insistance à parler « d'épidémie » d'obésité augmente les cas d'anorexie et de boulimie.
• Deux études indiquent que les personnes plus âgées ayant un léger embonpoint tombent moins souvent malades et vivent plus longtemps que celles qui ont un poids santé.
Ces études sont intéressantes, mais ne contredisent pas le rapport du FMRC. En effet, ce rapport ne parle pas spécifiquement des personnes plus âgées, mais de toute la population, et il ne met pas l'accent sur un pays en particulier, comme l'Australie. Toutefois, il est vrai qu'il n'y a aucune certitude dans ce domaine de recherche et, même si on note une corrélation entre certains cancers et l'obésité, le lien de cause à effet est
encore à prouver dans bien des cas. Le reportage signale aux téléspectateurs qu'il s'agit d'un concept « nouveau », qui ne fait pas l'unanimité :
« Arrêter de fumer demeure la première recommandation pour éviter le cancer. (...) Il y a aussi les coups de soleil qui provoquent le cancer de la peau. (...) Des études indiquaient cependant qu'il existait d'autres facteurs plus difficiles à cerner. »
« Cette approche [rester mince-exercice quotidien-manger santé] pour éviter le cancer est récente. Elle rencontre bien des résistances, car toutes les preuves ne sont pas sur la table. »
« On ne sait pas trop pourquoi, mais, pour bien fonctionner, notre corps a besoin de bouger. »
En Europe, où le mode de vie est différent, le surpoids et l'obésité seraient responsables de seulement 3,2 pour cent des cancers chez les hommes et de 8,6 pour cent chez les femmes européennes. 5
5 http://www.latribune.fr/depeches/reuters/le-surpoids-en-cause-dans-124.000-cancers-en-europe-en-2008.html
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L'obésité, bientôt première cause de cancer?
Selon le plaignant, Radio-Canada a fait preuve de démagogie en laissant Richard Béliveau dire :
« On prédit que l'obésité va remplacer le tabac comme la première cause de cancer à l'échelle mondiale. C'est pas n'importe quoi ça. »
Cette prédiction a de quoi alerter l'opinion publique, car le tabagisme compte en ce moment pour 35 pour cent des cancers. Encore une fois, ce n'est pas Radio-Canada qui fait cette prédiction, mais un scientifique. Il n'est pas le seul à prédire une telle tendance. Le directeur Pierre Sormany cite le chercheur britannique Andrew Renehan. Le professeur Jeffrey M. P. Holly publiait aussi une étude au printemps 2006 prévoyant
que, dans quelques années, l'obésité allait remplacer le tabac comme cause principale des morts de plusieurs cancers, morts qui pourraient être évitées 6 .
Rester mince toute sa vie
M. Breton croit qu'en mettant l'accent sur cet objectif irréaliste, Radio-Canada risque d'exacerber l'obsession de la minceur chez les femmes.
Claude D'Astous a repris textuellement la recommandation telle qu'elle est formulée dans le rapport. Ce rapport est encore plus spécifique, puisqu'il y est écrit qu'un indice de masse corporelle entre 21 et 23 est souhaitable. [On estime que le poids santé se situe entre 18,5 et 25 (IMC).]
Le journaliste de Découverte ne se sentait pas libre de modifier le vocabulaire employé par les chercheurs. Toutefois, il pense que M. Breton a raison de souligner la difficulté, sinon l'impossibilité, pour beaucoup de gens d'atteindre cet objectif de minceur.
L'obésité est une maladie.
Le plaignant a peut-être raison de craindre que les recommandations radicales de ce rapport (rester mince toute sa vie, faire 30 minutes d'exercice par jour) renforcent l'obsession de la minceur chez certains. Toutefois, l'intérêt public de cette synthèse scientifique et les mises en garde qu'elle contient me semblent indéniables. Et ce, même s'il faudra sans doute encore des années de recherche avant d'avoir des certitudes sur les liens entre certains cancers et obésité :
« The panel emphasises that the setting of recommandations is not and cannot be “ an exact science”. Recommandations derive from judgements based on the best evidence
6 http://www.aicr.org/site/News2?abbr=res_&page=NewsArticle&id=9639&news_iv_ctrl=1201
Révision de l'émission Découverte sur les liens entre le cancer et l'obésité 10
but that evidence and those judgments may still not be such that only one possible recommandation would follow. Several aspects of recommandations desgined to improve health can be questioned. The Panel believes nevertheless that its recommandations are as firmly based as the science currently allows (...) » (page 373)
M. Breton n'a pas été le seul à critiquer l'utilisation du mot « mince » dans le rapport de 1997. D'ailleurs, le vocabulaire a changé dans les récentes directives de l'Institut américain de la recherche sur le cancer (qui était coauteur du rapport de 1997). Voici la recommandation sur le poids :
« Aim to be a healthy weight throughout life » 7
Traduction : visez un poids santé toute votre vie.
Encore plus intéressant : dans ces directives, les individus sont divisés en trois catégories, et on conseille aux obèses, qui souvent ne peuvent pas contrôler leurs poids, de mettre l'accent sur d'autres facteurs de risques pour prévenir le cancer. Ces récentes directives semblent donc plus réalistes.
Conclusion
Le segment de l'émission Découverte qui traite des liens entre certains cancers et l'obésité respecte les Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada.
Julie Miville-Dechêne
Ombudsman des Services français
Société Radio-Canada
2009-12-15
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